Donner du détail mais sans précisions
Apprendre à faire du flou mais sans brouillard
Se garder de mettre du net et du flou partout
Constant Puyo, dessinateur et photographe morlaisien

        La Reine voilée

Des formes, des couleurs, légères et violentes. De l’humour. Un propos muet et pourtant si dense qui murmure, puis hurle depuis la profonde surface des images saisies. Nous entrons dans l’univers de Myriam Richard, et l’on sent un vertige, infime. De celui-ci, on dit à la hâte qu’il formule le banal du quotidien. Pourquoi ? Je ressens plutôt le relief en caressant de la pupille les fragments exposés. Dans ces clichés, Myriam creuse l’intime en profondeur, avec d’autant plus de résolution que la matière offerte à son objectif est opaque et se refuse. La photographe aime le défi que lui lance le réel. Rien n’y fait : son appareil photographique et, derrière, son regard entendent l’appel permanent des êtres rencontrés, des décors traversés, à peine dissimulés derrière l’apparence d’un premier refus, qui l’attire. Le royaume des dupes n’est pas son pays, elle s’y aventure. Explorez avec elle ; nous nous croiserons peut-être quelque part, à mi-chemin entre les mots et ses images.
La Reine voilée.
Distinction, élégance, lumières chatoyantes et pierres précieuses : la Reine. Puis le basculement vers le silence, la retenue, l’absence contrainte, quelque chose qui ne tourne pas rond : voilée.
Chercher le détour, soulever le tissu sans que personne ne le sache, ni elle ni lui : dès lors, aucun reproche possible. Surtout ne pas tendre frontalement le bras, anéantir les maladresses avant qu’elles n’adviennent, ne pas confronter l’horizon des regards mais flotter sur le sentier sécant du jardin, délicat. Simplement laisser glisser ses paupières mi-closes derrière le voile et nous prendre la main pour une promenade sensuelle à l’aveugle. Voir et comprendre, oui, en actes.
Méditer sans réfléchir. L’imaginaire, galant et séducteur, donne le bras à la raison, un peu troublée. Allons plutôt par ici mademoiselle, vous voulez ?
Les femmes qui portent le voile nous offrent-elles une image ? En cadrant ces corps de tissus, effleure-t-on quelque chose d’elles ? Femmes en quête de discrétion, forcées d’emprunter le chemin de l’effacement. Femmes pudiques qui attirent tous les regards contemporains. Femmes occidentales en révolte contre les mots dits violents du passé sur leurs corps, désormais accablées d’un tissu sombre et lourd. Seule solution pour arrêter la souffrance, mais ne pas le dire ainsi, mentir de tout son être.
Et devant elles, ne pas savoir mais s’interroger tout de même. Enfermées, empêtrées, aucune issue, mais cet appel toujours. Appel en sourdine, fondé aussi parfois sur la force d’un volume. Myriam voit tout cela et nous le fait comprendre dans ses photographies et ses dessins.
La Reine rit, jouer facile avec les mots dans ce quartier que je ne connais que par ces femmes, ces plans et ces dessins, puis ces quelques mots griffonnés enfin. Y aller un jour, oui, car l’envie est formulée dans chaque fragment exposé. Myriam a résidé dans ce jardin, Jean-Pierre Mata lui a fait faire le tour du propriétaire avant la remise des clés :
« Voici la liste de la faune présente : mésange, troglodyte, geai, pic-vert, pic épeiche, chauve-souris, poule d’eau, palombe, écureuil, héron, héron bihoreau.
Ah oui, sur l’épicéa près du nymphée, vous ferez attention au trou de mésange, d’accord ?
Passons dans la flore, suivez-moi : pin bungiana (Napoléon), très rare dans notre région, originaire de Chine… »
Myriam écoute et songe : le Made in China rendu à sa rareté, ’vais me plaire ici je crois.
La visite se poursuit : « Pin parasol… »
Et Myriam aussitôt voit l’ombre jouer avec les reliefs dessinés de lumière. Tiges, troncs, pétales et feuilles, tout est là déjà qui frémit.
Il énumère : « Tulipiers de Virginie, Gleditzia (févier d’Amérique), noyer européen, tilleul, charme aux feuilles marcissantes (vous savez, de celles qui, jeunes, poussent les vieilles restées accrochées sur l’arbre), cerisier, cèdre de l’Himalaya, sophora japonica… »
La liste est longue, mais le moment, poétique et sensuel. Myriam savoure.
En bas, les restes du pont de l’ancienne entrée principale. Une impression de tapis vert. Plus loin, un double rideau de charmilles pour une ambiance romantique, le savoir-faire ancestral des arbres qui créent des lieux intimes. La photographe s’installe.

Femme à l’ombrelle près d’un cours d’eau

Il pourrait y avoir un fossé entre elle et nous. Myriam se tient du bon côté.
La jeune fille est plongée dans ses pensées, le corps au bord de l’eau, ses cheveux retenus effleurant le bleu du ciel. Géante discrète, d’un geste de la main, elle pourrait faire tourner les nuages et engendrer le cataclysme, mais elle est calme. Elle va grandir encore, prend son temps.
Mise en abyme, l’ombre, elle, naturelle et profonde, son épaule solide tendue vers l’infini, son temps libéré de l’inquiétude bornée des aiguilles envolées. La multitude des femmes d’hier comme un souffle dans le dos, et juste elle, devant, poussée vers la lumière de l’autre berge.

Maternité

Quoi que vous fassiez, quoi que vous tentiez, vous ferez toujours des erreurs, ils vous le reprocheront toujours. Une fois qu’on le sait, on peut sourire, protéger, aimer, dans la certitude infaillible.
Elles en savent toujours un peu plus sur la couleur des narcisses, l’entretien des buissons, la poésie des arbres. Elles le chuchoteront toute leur vie aux jeunes oreilles, qui joueront les distraites, mais seront avides de cette langue rare qui fait grandir.
La douce ingratitude des enfants amoureux de leur mère n’est qu’une pudeur. Elle naît d’une admiration, comme la trace d’un bonheur presque insupportable, car trop tôt menacé.

Femme au voile à pois

J’ai été lâche, je les ai abandonnés, je devais y aller, on avait répété, on avait tout pensé, on avait tout calé, prévu, rien laissé au hasard. Je m’étais impliquée. Millimètres, chronomètre, tu entres, tu calmes tout le monde d’une phrase, au sol, eux plaqués, toi armée, personne ne rit surtout pas nous, sérieux, besoin.
Mais quelque chose n’allait pas. Pas su le dire. Mais là j’étouffe. Cette veste trop serrée, trop sombre, bouton et fermeture, niée en un éclair. Je me suis laissée faire. Ce bleu qui fait croire que les pas seront amples mais j’ai glissé, empêtrée dans la toile. C’était plié. Et le poids de ce foulard. Je n’y voyais rien, plus rien au matin. De l’oxygène, mettre la main sur la sève qui monte, ma vie n’est pas vers là, nulle part. Je m’arrête ici et me réconcilie.

Chant sacré

Un pupitre-femme dans la végétation habituelle d’une salle de concert banale. Les buissons claquent des feuilles à tout rompre, impatients. Ils trépignent des racines, cela fait des heures qu’ils attendent. Et puis elle avance sur la scène meuble, la terre humide apaisant le frémissement fébrile de son être balbutiant. Le costume étonne, la taille de la guitare aussi : une femme chevalier ou une nonne trempée dans un bain de sang, on ne sait pas bien. L’irrépressible sourire en ricochet ne peut être retenu bien longtemps sur nos visages spectateurs : mais quel sérieux, voyons, chez ce pupitre rose à l’application concentrée. Mise en scène. Tout est bizarre, tout est étrange, que le spectacle commence.
Il paraît que parfois la pureté d’une note invite à tutoyer les anges.

La Robe rouge

Bon sang, mais que sommes-nous venus faire ici ? Je vous avais bien dit que ce n’était pas dans ce sens qu’il fallait lire le plan. Vous ne savez pas lire une carte, ça c’est un fait, mais en plus, vous ne m’écoutez pas, jamais. Voilà le résultat, comme d’habitude. On est bien, là, maintenant, perdus près de cette robe rouge. Si vous pensez que les robes rouges peuvent indiquer la route à emprunter pour rejoindre le reste du bois, allez-y, ne vous gênez pas, posez-lui la question, sait-on jamais.

Myriam Richard drape un modèle

Le tronc derrière a été tranché net, puis la souche, oubliée. Mais rien ne vient sectionner le lien entre la photographe et son modèle. Myriam cherche la bonne coupe, la grâce d’un tombé. Elle confectionne les entours d’une face, entasse les plis, accumule les espaces en mesure d’accueillir la lumière.
Elle veut simplement nous rendre la monnaie de notre pièce, chercher dans la douceur une réponse ouverte à proposer à notre regard. L’effet est immédiat : l’œil flâne puis freine brutalement devant la photographie.
L’art et le travail, à pile ou face. Le respect s’enracine dans la résistance, celle qui s’organise autour du temps certain accordé à la mise en place.

Jeune Fille dans le jardin fleuri

Je voudrais tant qu’elle s’appelle Pénélope. De toutes parts, ils approchent sans cesse vers sa beauté, mais elle ne pense qu’à lui et, dans son attente, la tapisserie seule la préoccupe : quel sera le motif avorté qu’elle dessinera aujourd’hui de ses fils ? Il serait bien, pourquoi pas, qu’il ait ce parfum-là.

Deux femmes masquées

Jambes parallèles, dos droits, mains croisées, mains posées, nues et baguées, vêtements unis, rayures, carreaux et fleurs. Cuir, coton, laine, polyester. La pierre du banc et la fraîcheur du bosquet. Lignes à suivre en maintes directions, effervescence dans la sollicitation des sens. Pourtant, une seule question : à droite, d’accord, l’un des trois petits cochons échappé du conte (le deuxième, celui qui a construit sa résidence de fiction dans les brindilles évidemment, comme Myriam pour ce projet).
Mais à gauche : Io la jeune prêtresse aux yeux de génisse ? Ou la brebis égarée dont parle Saint Matthieu ?
Cherche libre lecture ironique de l’image proposée. D’accord.
Io et Zeus ou comment l’homme cache en vain la femme sous un masque qui n’est pas elle, et la révèle alors, malgré tout.
La parabole de la brebis égarée ou comment se perdre sur le parcours révèle soudain la valeur d’un être dont on ignorait le prix à son cœur.
La formule de Saint-Augustin est connue, écoutons-la peut-être à nouveau ici, au risque d’entendre de l’inédit : « Celui qui se perd dans sa passion est moins perdu que celui qui perd sa passion. »

Les dessins sont des lignes griffonnées alors je tais ma plume ici, l’encre sur le seuil, et je m’avance dans leur lecture. Vous m’accompagnez ?

Roselyne Quéméner